Bouillabaisse
Turfu

Jean-Philippe Clément

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Navire : Pagre II, pointu en bois

Nos rencontres sur le quai commencent souvent par un « Alors Philippe ! » et lui me répond « y’a rien ! » ou bien « y’a personne ! » d’un air dépité. Une fois ce constat fait, quelques blagues, des sous-entendus, du deuxième degré nous permettent de partir du bon pied. Ce qui est intéressant avec Philippe au-delà de son humour et de la qualité de ses poissons ce sont les informations sur la mer qu’il partage volontiers. Hier encore, à la mi-juin, il avait quatre palamides, en français on dit pélamide, la , de taille moyenne bien alignés sur le banc, les ouïes étaient décolorées mais la chair ferme et brillante, « et oui, regarde les eaux sont trop chaudes » me dit-il, « Hier j’ai eu quelques allaches dans mon filet, je me suis douté qu’aujourd’hui j’aurai des pélamides. » Ces magnifiques poissons de la famille de la bonite chassent les bancs d’allaches et de sardines… Un jour il me montrait un poisson dont le dos avait été mangé par une seiche, c’est une seiche qui a fait la marque, un poulpe aurait commencé par la tête.
Quel est le poisson que tu as pêché dont tu es le plus fier ? Après avoir marqué une pause, il répond un vieux Denti car ce jour là je fus plus malin que lui ! Philippe en bon pêcheur connait l’intelligence et les stratégies des espèces qui se cache dans les fonds de cette côte rocheuse et qui s’adaptent à l’évolution des techniques de pêche et lui s’adapte en retour à leur ruse et stratégie d’évitement.

Philippe ne pêche pas beaucoup de poissons, son bac est général peu fourni mais ça lui suffit me dit-il. Il a très peu de filets et les cale toujours au même endroit près du Frioul. Cet endroit stratégique est reconnu comme un lieu de pêche ancestral selon Daniela Banaru, chercheuse au MIO, on trouve des annotations et des inscriptions sur des cartes anciennes. Pour Philippe c’est l’endroit stratégique pour attraper les poissons de passage, ceux qui se déplacent à travers la méditerranné, ceux qui suivent les courants, les planctons, les sardines selon la température de l’eau et les saisons.
Il utilise un filet en trémail en bas et quinze mètres de filet en batude jusqu’à la surface de l’eau. Sa technique, ce métier lui permet d’avoir une grande diversité de poissons ; « les mailles n’ont pas la même taille entre le bas et le haut » m’explique-t-il.
Cette pêche variée lui permet de vivre de sa passion en complément de sa retraite de pêcheur. Dans ses prises Il y a souvent quelques poissons qui se vendent à un bon prix, chapon, saint-Pierre par exemple… puis les autres saupes, palamides, sars, daurades, loups, selon la saison…qui font la diversité de son banc. Beaucoup d’habitués viennent lui acheter spécialement les poissons depuis les dizaines d’années qu’il pratique le quai des Belges et a fidéliser ses clients.

Pour respecter le cycle du mangeur mangé, Je lui ai acheté une seiche dont il me propose deux manières de la cuisiner. Une façon provençale et une autre réunionnaise, dont est issue la culture de sa femme.
On fait une sauce tomate avec de l’ail et un oignon auquel on ajoute du vin blanc. On coupe la seiche en carrés, on les rajoute à la sauce chaude et on fait cuire à peu près cinq minutes selon la taille des morceaux. De cette façon la seiche reste tendre, on vérifie la cuisson en piquant avec une fourchette. Ce plat s’accompagne de pommes de terre. La version plus exotique sera plus épicée avec du gingembre, du poivre, du piment et du curry dans la sauce tomate accompagnant du riz.
Philippe ne jette pas grand-chose, il garde précieusement les objets qu’il a glané ou trouvé, une vieille sacoche rafistoléé , usagée par le temps, fossilisée par le sel est attachée autour de sa taille, le plateau en aluminium tout martelé et sans forme, lui sert pour peser les poissons. Ces objets usuels témoignent de l’autonomie de Philippe et celle du pêcheur aux petits métiers où l’on ramonde soi-même ses filets, répare et entretien son bateau…
Sur le Pagre II, le pont de son pointu amarré au quai des Belges est bien rangé, il a mis une joli moquette, des tonneaux bleus sont fixés au bastingage. A l’intérieur se trouve souvent des poissons vivants, des viés de mer ou concombre de mer que des clients d’origine chinoise viennent chercher. Ils savent transformer ces filtreurs à la peau visqueuse en un met recherché qu’on appelle holoturie.
A côté de son bac bleu, posé sur des tréteaux s’adjoint un parasol pour faire de l’ombre aux poissons dont beaucoup sont vivants.
On y rencontre aussi des aquariophiles de poissons de méditerranée qui y viennent acheter ou discuter car sa technique de pêche et son savoir-faire leur permettent d’avoir des poissons vivants, rares ou exceptionnels.

Philippe a commencé le métier en 1980 à l’âge de dix-neuf ans, une époque où un jeune pouvait facilement embarqué sans expérience ni formation. Depuis la passion ne l’a jamais quitté. Depuis quarante-deux qu’il se sent libre, même si c’est la mer qui commande dit-il.
La méditerrannée a changé, sûrement en raison de la pollution, du changement de température pense ce pêcheur aux petits métiers . Il constate, que des espèces ont disparues ou se sont raréfiés : « il n’y a plus de violets et de coquillages. Il y’a moins de sardines et d’allaches, qu’on prenait avant par centaines de kilos! »
Au contraire d’autres espèces sont apparues, aujourd’hui on trouve de nouveaux poissons issus de mers plus chaudes dans la rade de Marseille, des mérous, des espadons, des tassergales, appellés aussi ser, des balistes… Les murènes n’ont jamais été aussi nombreuses et détruisent ses filets en y faisant des trous… la mer est entrain de changé nous dit-il.

Sa recette

–> La Seiche

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